Lundi dernier, les marchés boursiers japonais ont connu leur pire journée depuis 1987, l’indice Nikkei 225 ayant chuté de 12,4 %. Les marchés américains, qui avaient subi des pressions la semaine précédente en raison de la faiblesse du rapport sur l’emploi, ont également chuté d’environ 3 % ce jour-là. Plusieurs facteurs ont joué un rôle, notamment l’annonce par la banque centrale du Japon, le mercredi précédent (31 juillet), d’un relèvement des taux d’intérêt de près de zéro à 0,25 %. Cette décision historique a frappé le marché boursier plus durement que les fermetures de la Covid-19 en 2020, la crise financière de 2008 et l’éclatement de la bulle Internet dans les années 1990.
Le krach boursier de lundi dernier a été directement déclenché par une opération très prisée des financiers et des investisseurs institutionnels, le « yen carry trade », qui permet aux investisseurs d’arbitrer entre des taux bas et des taux élevés. Plus précisément, les investisseurs ont pu emprunter des yens japonais à des taux proches de zéro, puis investir cet argent dans des bons du Trésor américain avec un rendement de 5,5 %, ce qui leur a permis de réaliser un profit sans frais et avec peu de risques. Toutefois, cette opération dépend de la stabilité des taux de change entre le dollar et le yen. Les hausses de taux de la Banque du Japon ont non seulement augmenté le coût de l’emprunt pour les investisseurs, mais elles ont également entraîné une appréciation du yen de 12 % entre la mi-juillet et le début du mois d’août, ce qui signifie que les paiements d’intérêts sur la dette japonaise ont soudainement augmenté pour les investisseurs. Afin d’obtenir des liquidités pour couvrir ces paiements, ces derniers ont décidé de se débarrasser de leurs actions sur les marchés mondiaux.
Les hausses de taux de la Banque du Japon cette année rompent avec des décennies de précédents. En mars, la banque centrale a relevé ses taux d’intérêt pour la première fois en 17 ans, mettant fin à une expérience de près de dix ans de taux d’intérêt négatifs. Contrairement à d’autres pays qui tentent de se protéger d’une crise inflationniste, le Japon y voit une opportunité : Lors d’une récente conférence de presse, le Premier ministre Fumio Kishida a qualifié la hausse des taux d’« occasion unique de sortir de la déflation ». (Mise à jour du 14 août : Fumio a annoncé qu’il quitterait ses fonctions en septembre).
L’économie japonaise est en difficulté depuis 1991, caractérisée par une déflation persistante et une faible croissance économique. Depuis 2016, le Japon a maintenu les taux d’intérêt en dessous de zéro pour encourager les dépenses de consommation, mais sans grand succès. Le pays a donc considéré l’inflation en 2022 comme une opportunité d’augmenter les salaires.
Contrairement à la banque centrale américaine, la Banque du Japon a relevé ses taux non pas pour refroidir son économie, mais pour se protéger contre l’érosion du yen. Lorsque les devises d’autres pays s’apprécient en raison de taux d’intérêt élevés, le yen s’affaiblit et rend les importations mondiales relativement plus chères pour les consommateurs japonais, ce qui peut réduire les échanges commerciaux et ralentir la croissance économique. L’économie japonaise s’est contractée au cours de deux des trois derniers trimestres.